Mesurer pour contrôler ? Les épreuves de la quantification domestique avec le compteur d’électricité (de 1880 à nos jours)
Résumé
Permettant de repenser à nouveaux frais l’articulation organisation-marché, cet article vise à retracer la généalogie de la quantification de l’électricité et des activités de travail développées en réponse à quatre périodes clés de l’histoire du secteur de l’énergie en France. Loin d’être un simple outil de gestion des organisations productives, le compteur, instrument de quantification de l’électricité directement placée dans les domiciles à proximité des lieux de consommation, plonge ses racines dans une longue tradition historique de l’organisation de la production et de la vente de l’électricité, qui, à la période contemporaine, est rediscutée à l’ère des potentialités numériques avec les smart meters. Depuis la fin du XIXe siècle, ce boîtier fait suite à une série de transformations techniques et de réformes dont la conception, puis la mise en oeuvre ont été longues, d’autant que des querelles sur les usages doublèrent les problèmes industriels. Il n’est pas seulement un instrument de contrôle de la facturation marqué par le sceau de l’objectivité scientifique et la précision, mais aussi un outil d’encadrement des conduites de consommation. Sa finalité ne consiste pas seulement à calculer précisément la quantité consommée : les concepteurs cherchent à répondre à un besoin commercial qu’ils essaient d’inclure dans le cahier des charges des appareils. Les incitations à la consommation à travers les politiques tarifaires ont été initiées au début de son histoire à la fin du XIXe siècle et elles ont été complétées par des politiques d’information client et d’encouragement à la sobriété dès les années 1970 dans le contexte post-choc pétrolier, partiellement poursuivies aujourd’hui avec l’introduction controversée des compteurs communicants et de projets intelligents dans le monde entier, comme en France avec le déploiement des compteurs Linky.